La Commission européenne vient d’officialiser la
création d’un groupe d’experts chargés de collecter des informations sur
l’exploitation des gaz de schiste et sur d’éventuelles méthodes d’extraction
moins polluantes. Le tout dans un esprit d’« échange d’idées équitable
et équilibré », assure Bruxelles. Problème : la grande majorité
de ces « experts » sont liés à l’industrie pétrolière et gazière,
favorable aux gaz de schiste. Et de l’aveu même d’un de ses membres, ce groupe
d’experts financé sur fonds publics aura pour but de rendre l’attitude des
citoyens européens plus « pragmatique » et « favorable »
aux gaz de schiste.
Malgré l’opposition massive des citoyens européens
au gaz de schiste, la Commission européenne persiste dans la direction opposée.
Après avoir exempté ces activités d’études d’impact environnemental
spécifiques, elle met en place aujourd’hui un « réseau » d’experts
largement dominé par les industriels et les gouvernements favorables au gaz de
schiste. Les Amis de la terre Europe et le Corporate Europe Observatory,
basé à Bruxelles, publient aujourd’hui une étude sur la composition de ce
réseau, dont l’intitulé « Carte blanche for fracking » laisse
présager le faible niveau d’indépendance de ces « experts ».
Sur 60 « experts » déjà nommés, 40%
travaillent pour des entreprises comme Total, GDF Suez ou Shell, directement
impliquées dans le gaz de schiste, ou pour des lobbies du secteur pétrolier et
gazier, comme l’Union française des
industries pétrolières (UFIP). Jean-Louis Schilansky, par ailleurs président
du « Centre de documentation sur les hydrocarbures non conventionnels »,
le lobby récemment créé par les entreprises françaises intéressées au
développement du gaz de schiste, en fait par exemple partie [1]. Les représentants
de la société civile, en revanche, se comptent sur les doigts d’une main :
ils ne sont que cinq ! Le reste est constitué soit de scientifiques dont
la majorité est liée financièrement à l’industrie, soit de représentants de bureaux
publics de recherche géologique, dont les intérêts sont souvent étroitement
liés à ceux des promoteurs du gaz de schiste. Au total, 70% des membres de ce
réseau ont des liens financiers avec l’industrie pétrolière et gazière...
« Renverser l’attitude défavorable envers le gaz de schiste »
Quel rôle joueront-ils ? Le « réseau
européen scientifique et technologique européen sur l’extraction des
hydrocarbures non conventionnels » [2] a pour mission
officielle de collecter des informations sur les développements du gaz de
schiste en Europe et d’évaluer les technologies utilisées pour les extraire.
Ces experts seront ainsi chargés d’étudier les méthodes de fracturation
hydraulique et ses alternatives éventuelles – pour l’instant totalement
chimériques.
Ce réseau devra travaillé, selon la Commission,
dans un esprit d’« échange d’idées équitable et équilibré ».
L’une des cinq personnes désignées par la Commission pour présider les groupes
de travail du « réseau », le Polonais Grzegorz Pieńkowski, se montre
plus franc : « La mise en place [de ce réseau] est un pas en vue
de renverser l’attitude défavorable ou soupçonneuse envers le gaz de schiste
qui prévaut en Europe en une attitude plus pragmatique et, en dernière
instance, favorable », explique-t-il dans un entretien avec un magazine professionnel
La Commission européenne s’est déjà retrouvée sous
le feu des critiques pour avoir mis en place des groupes d’experts dominés par
les intérêts industriels, que ce soit dans le domaine des OGM, des
perturbateurs endocriniens, de la régulation de la finance, ou de la pollution
de l’air. Ce qui ne l’empêche pas de récidiver aujourd’hui avec les gaz de
schiste et la fracturation des sols. Elle a directement sélectionné les cinq
présidents des groupes de travail : on y retrouve deux représentants
d’entreprises pétrolières et gazières (CoconoPhillips et Cuadrilla), deux
représentants de gouvernements pro-gaz de schiste (Royaume-Uni et Pologne) et
le Français François Kalaydjian, employé de l’Institut français du pétrole [3], une organisation de
recherche française liée à l’industrie et connue pour ses prises de positions
favorables aux énergies fossiles.
Passage en force
Au final, une large majorité des membres du réseau,
soit en personne soit à travers les entreprises, gouvernements et organisations
qu’ils représentent, se sont déjà fait remarquer par leurs prises de position
favorables au gaz de schiste ou par leur opposition à des régulations trop
strictes de ces activités. Interpellé par les associations, le Joint
Research Center (JRC), dont la mission est de coordonner les groupes
d’experts de la Commission européenne, se contente de jouer avec les
mots : comme il ne s’agit pas d’un groupe officiellement chargé de
« conseiller » la Commission, mais seulement de rassembler des
informations, il ne serait pas sujet aux normes d’équilibre et d’indépendance
requises pour les autres groupes d’experts. De sorte que le JRC ne voit « aucune
raison de modifier les règles ou la structure des groupes de travail ou leurs
présidents ».
« Sous couvert de mettre en place un ‘réseau
scientifique et technologique’, la Commission utilise des fonds publics pour
créer un lobby favorable à l’industrie pétrolière et gazière, dénoncent
les Amis de la terre Europe et le Corporate Europe Observatory. Ce
qui est particulièrement inquiétant, c’est que malgré l’opposition massive du
public, la Commission cherche une nouvelle fois à faire entrer discrètement le
gaz de schiste par la porte de derrière, en essayant de faire en sorte que la
question ne soit pas ‘si’ l’Europe veut la fracturation hydraulique, mais
‘comment’. »
Notes
[1] Le réseau compte
74 membres officiels, mais 14 sont des employés de la Commission européenne.
Lien vers article original de Bastamag.net
Pour consulter le rapport « Carte blanche for fracking » (en anglais)
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